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14 septembre 2011 3 14 /09 /septembre /2011 19:56
Sur ma table de chevet : Cocktail cruel de Yann Venner, paru chez « Le Cormoran », une petite maison d'édition locale. Eco-polar dont l'histoire se déroule entre la Bourgogne et la Bretagne. L'auteur y distille une intrigue mêlant écologie, science viticole et enquête policière.
 
page de couverture © Le Cormoran
Étonnant mélange des genres, ce roman nous en apprend énormément sur la fabrication du (bon) vin et le désastre des algues vertes en baie de Saint Brieuc. Du côté de l'intrigue policière, l'enquête menée par Luc Létourneau, commissaire de Beaune, semble parfois laissée de côté au profit de longues tirades sur les deux précédents thèmes. La vie des personnages y est tout de même admirablement décrite, permettant de nous imprégner entièrement de leur personnalité. Trop peut-être, car entre le résumé et la présentation des protagonistes, on devine rapidement l'identité du meurtrier laissant pour unique suspense l'espoir de s'être trompé.
Une ode à Bacchus
Néanmoins, quelques digressions écologiques nous instruisent sur le déroulement de plusieurs phénomènes biologiques et chimiques. Et surtout sur leur articulation planétaire. Nous apprenons de façon ludique, que l'écologie bien que devant être « locale » à l'échelle des travaux humains doit aussi être pensée « générale » à l'échelle de la planète et qu'un geste malheureux ici peut avoir de graves conséquences là-bas. Sans dévoiler les exemples de l'ouvrage, l'explication est claire et concise, nous permettant de recadrer nos réflexions écologiques selon une méthode précise et infaillible : la systémique.
Plus éco que polar, Cocktail cruel est aussi une ode au divin breuvage viticole.
En effet, des racines au tonneau, Yann Venner nous donne quelques astuces indispensables à la fabrication d'un bon cru avec légèreté et force de vocabulaire. Novice en la matière, j'ai bien apprécié ces descriptions. Elles appellent à un approfondissement personnel. Enfin, allier différents thèmes dans une même œuvre étant toujours un exercice difficile, ce livre trouvera plutôt ses lecteurs chez les écologistes et les amateurs de bons vins. A déguster tout de même...
Critique du site & de la revue
Bretagne Durable
Par neogimo le 19/01/201
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14 septembre 2011 3 14 /09 /septembre /2011 19:17

 

Portrait de Driss Chraïbi
par Yann Venner
 

L'inspecteur ALI au miroir de l'Autre
Du "connais-toi toi-même" à l'intersubjectivité
Du JE(U) au NOUS
Le roman policier alter-natif
De l'écriture de la révolte à l'écriture jubilatoire


 
 
Tous ces titres pour annoncer une enquête, entre-eaux-les-lignes, troubl(é)es par le rire, le réel et l'imaginaire.
Nous allons étudier comment Driss Chraïbi se sert d'un narrateur, héros perspicace et facétieux, pour mieux dénouer nos certitudes, mettre à terre le crime et dénoncer les travers individuels ou collectifs de nos sociétés respectives, occidentales ou dites orientales. Nous verrons aussi comment la double culture, la bilangue et les discours hétéroglosses perturbent, servent ou relancent la diégèse, dans un joyeux carnaval où le sérieux fréquente le grotesque, où le rire déjoue les faux semblants, et où les jeux de miroir entraînent le lecteur dans une spirale théâtralisée, grotesque et joyeuse.
Plusieurs titres nous serviront d'étais
- L'inspecteur Ali Denoël 1991
- Une place au soleil Denoël 1993
- L'inspecteur Ali à Trinity College Denoël 1996
- L'inspecteur Ali et la C.I.A. Denoël 1997



L'intrigue policière proposée par Chraïbi est à la fois une enquête sur l'autre et une rencontre de soi-même. Cousin de Columbo, mal fagoté, d'allure "plouc" ou bêtasse, cousin ou frère de Renart, le héros libertaire et cruel du roman de Renart au XII siècle, l'inspecteur Ali est un grand échalas, maigre comme un matou oublié dans un grenier. Sorte de marginal, bien qu'inspecteur de la Police Royale Marocaine, Ali navigue entre les langues et entre les cultures, à l'aise comme un poisson qui aurait des ailes et un flair instinctif. C'est une sorte de Poulpe, ou de Charlot aussi, qui sait être tendre, romantique et surtout amoureux des fleurs, des femmes et de la vie. Le rire populaire d'Ali, raconteur d'histoires drôles, Ali prénom du gendre du Prophète, fils d'un gardien de four public, est à la fois rabelaisien, san-antonionesque, et surtout fédérateur, appelant à la paix des coeurs et à l'abolition des nations, de leurs civilisations dévoyées et rongées par l'Histoire et ses Dieux, ces maux absolus.

Chraïbi utilise le terme de polar marrant, voire déconnant, pour rompre - à une certaine époque - avec l'image d'une littérature maghrébine en train de s'essouffler dans une quête de revendication identitaire, soit trop tournée vers elle-même, le solipsisme natif, soit adossée à l'Histoire ou au tragique permanent, ce qui peut finir par lasser. Il ne souhaite pas bien sûr, la mort de ses collègues d'écriture, mais se veut le pourfendeur des vieilles idées qui sont le chancre de l'humanité.
"
Chraïbi est un rebelle qui rame à contre-courant et qui ne tient compte ni des honneurs surfaits, ni de l'establishment. Lui aussi bien sûr a parlé haut et fort à travers plusieurs romans, en dénonçant le patriarcat, les excès d'une religion dévoyée, la misère des femmes et les abus de pouvoir, la terreur exercée au nom du Dieu argent. Lui aussi a su utiliser cette "violence du texte", cette stratégie d'écriture qui fait voler en éclats les dogmes et l'hypocrisie, le racisme et l'intolérance, mais ce changement de cap - cap d'espérance et non plus de désespérance pour la littérature dite maghrébine - apporte un vent de fraîcheur et de quasi naïveté. Un peu comme la naissance d'un nouvel enfant, un peu comme "une naissance à l'aube", titre d'un de ses romans.
Il appartient aussi à l'écrivain né à El DJADIDA, La Neuve, de renouveler le genre romanesque, qu'il soit policier ou non. Dans l'esprit musulman, il me semble aussi de bon ton de réactiver le passé au miroir du présent, de n'être pas soumis à Dieu comme un prisonnier du mektoub figé et stérile, mais de relire le texte sacré comme une renaissance, une découverte à chaque lecture.
La ruse va donc jouer une grande place dans les enquêtes menées par l'inspecteur Ali. Moteur de l'action et du suspens, miroir tendu à l'autre, mais miroir déformant, la ruse est le grain de sable qui agace, elle est la figure du doute permanent qui voile et dévoile, la ruse va user et abuser le coupable et quelquefois même le lecteur.
Le jeu de miroir, les effets dialectiques du langage, vont créer un doute, mais un doute fécond.

" Un miroir était accroché au-dessus de l'évier. Sourcils froncés, mostache taillée en brosse à dents, bouche ouverte, qui était ce type qui le fixait comme un suspect dans un commissariat ? Tous deux éclatèrent de rire."

Qui suis-je ? qui est l'autre ?
Le polar, la littérature policière offre un contact faste avec la réalité d'autres cultures. Le polar est l'un des rares et précieux moyens pour le sujet de sortir de son solipsisme natif, de pénétrer dans ce qui est par définition impénétrable : la conscience d'autrui telle qu'elle reconstruite imaginativement dans les textes littéraires. Ce désir d'entrer dans la conscience de l'autre, que la vie quotidienne nous refuse, la littérature nous le donne. J'ai accès à l'altérité et cet accès me permet de revenir sur moi-même dans de meilleures conditions.
Il faut aussi remarquer que par le passé, dans la littérature dite maghrébine, la place du JE, de la première personne n'était quasiment jamais autorisée, comme s'il fallait toujours parler au nom de la collectivité ou de la tribu. L'écriture ne permettait pas au sujet d'advenir, ni de se mettre en scène.
Lire P.138 Une place au soleil.
Le thème du doute, de la suspicion, le fait d'être suspect à soi-même, mettent le narrateur dans une position très inconfortable. Ici, pas de narrateur omniscient et sûr de lui, pas de vérité toute faite. Chacun semble coupable de quelque chose, chaque personnage est plus ou moins douteux.
L'inspecteur Ali porte un regard lucide sur lui-même et cette lucidité s'appelle le soupçon. Il est en face de l'autre comme en un miroir, à la fois étranger à lui-même, de par sa double culture peut-être, et solitaire parmi la foule. Orphelin, déterritorialisé, désoccidentalisé, désorientalisé, le fils du gardien d'un four public ne peut s'en sortir que par la farce et le rire. Sorte de héros prométhéen, Ali semble initié, de par sa bilangue et sa double culture, de par sa force métissée.
Il a volé le feu aux dieux, il fait éclater les tabous et réveille les consciences endormies. Mais à l'inverse de Prométhée, sa démesure, son hubris, n'est pas tristement prométhéenne, car sa démesure est joyeuse, iconoclaste, faite pour le rire plus que les larmes.
L'enquête policière oscille et bascule toujours entre hilarité et drame. Des histoires drôles, dignes des fois de l'almanach Vermot viennent illustrer un propos , apportent une bouffée d'air frais dans le récit, non pas pour détendre l'atmosphère de façon inopinée, mais simplement pour caviarder un récit trop savant ou abscons, comme si Chraïbi n'avait pas peur de se moquer de lui-même. Ce clin d'oeil au lecteur pour dire" je suis en train d'écrire, mais je n'ai pas la grosse tête, mon héros est populaire et doit le rester, pas de roman à thèse ici, pas de roman à clefs" comme il est dit dans le paratexte de l'Inspecteur Ali.
Chraïbi sait où il va quand il écrit car il commence toujours par la fin, il connaît la fin de l'histoire avant nous, et son intrigue progresse inéluctablement vers cette fin, même si pour y arriver il utilise tous les outils d'une écriture moderne ou postmoderne : digressions, ruptures de style (du savant au grotesque), ellipses narratives, dialogues à l'emporte-pièce, connivence avec le lecteur, micro-récits dans le récit, extraits de presse, collages, définitions de mots croisés;;;etc...
Tout cet attirail littéraire, ces stratégies d'écriture pour parler bien, lui permettent de bricoler dans l'incurable, incurable synonyme du verbe vivre comme disait Cioran... mais il est mort d'ailleurs, ajouterait le narrateur. Vivre donc, mais avec jubilation, sans assommer le lecteur avec " la souffrance d'écrire, de l'enjeu politique des nations," sans asséner haut et fort que le Moi souffre, que c'est bientôt la fin de tout.
Chraïbi écrit donc ses histoires en remontant le temps, en prenant le temps à rebrousse-poil, et par la même occasion la grande Histoire, celle avec sa grande hache, comme disait Georges Pérec. "Il est mort lui aussi d'ailleurs";
Aucune théorie littéraire, aucun dogme semble nous dire l'inspecteur Ali. "Prenez du bon temps, celui de me lire et si chacun est condamné à écouter, à lire une histoire, une enquête, pitié, rions ensemble"!
Ali! faites nous rire et faites les taire, ces acteurs médiocres, ces barbus de pacotille, ces intégristes de toutes les religions, ces sorbonnards qui ne valent pas mieux qu'un âne.
Ali est comme l'âne, un portefaix de nos douleurs, un montreur d'ombre et de lumière, mais c'est un âne heureux, qui croit en l'Homme, et non un homme savant et malheureux qui croit connaître l'âne parce qu'il est sur son dos et qu'il croit braire mieux que lui!
Tous ces propos ont besoin d'être étayés par des citations, des marocanismes, des exemples de diglossie, d'alternances codiques, et la place me manque...
A vous de lire et bonnes enquêtes !
Mardi soir, 29/11/2003
 Driss Chraïbi, l'un des plus grands écrivains maghrébins de langue française, a conversé avec une vingtaine de personnes dans l'intimité d'une salle du bar Les Valseuses à Brélévenez. Invité par l'association Al Manar, cet auteur rebelle de 77 ans a publié une vingtaine de romans et travaillé à France Culture pendant trente ans avec notamment Yann Paranthoen qu'il a retrouvé mardi soir.

Personnage hors normes, attachant, engagé et surtout rebelle, Driss Chraïbi, patriarche de la littérature maghrébine d'expression française, a entamé mardi soir au bar les Valseuses à Brélévenez une rencontre avec son lectorat qui se poursuivra samedi à la librairie Gwalarn.
Né en 1926 au Maroc, ce fils d'une famille aisée débarque à Paris en 1945 à la Libération pour suivre des études de chimie. C'est en 1954 que sort son premier roman intitulé Le passé simple. Depuis, Driss Chraïbi a publié une vingtaine de romans dans des éditions françaises, traduits dans vingt-deux langues. Il y raconte notamment les origines de l'islamisation du Maghreb, la conquête de l'Andalousie par les Berbères et les Arabes. Fervent défenseur de « l'ouverture de la culture à tous les peuples », cet intellectuel, aux oeuvres incisives, critique le déclin des civilisations et cultive le mythe de la Terre nourricière : « Les civilisations avaient des idées belles à la naissance mais elles sont trahies par Dieu et la politique. Nous sommes dirigés par des marionnettes. »
Ses deux dernières parutions sont autobiographiques. Il s'agit de Vu, lu, entendu et Le monde d'à côté. Son prochain ouvrage ­ L'homme qui venait du passé ­ sortira au printemps prochain aux éditions Gallimard. Driss Chraïbi y explore « le côté intérieur de Ben Laden ».
Mardi, l'auteur, qui vit actuellement dans la Drôme, est longuement revenu sur ses trente années passées à France Culture pour laquelle il écrivait des dramatiques d'environ 75 minutes. Il a retrouvé Yann Paranthoen, ingénieur du son mondialement connu, avec qui il a travaillé à la radio où il régnait « une ambiance familiale et conviviale. » Des souvenirs que les deux hommes ont longuement partagés.
Driss Chraïbi a également rendu un émouvant hommage à Mohamed Choukri, écrivain marocain, décédé la semaine dernière à l'âge de 60 ans : « Frère d'esprit sinon de sang, Mohamed Choukri était le véritable roi des pauvres ». Cet écrivain universellement connu a notamment publié Le pain nu.
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14 septembre 2011 3 14 /09 /septembre /2011 19:15

I

 

« Tout ce qui ne chante pas, pour moi, c'est de la merde. Qui ne danse pas fait l'aveu tout bas de quelque disgrâce ». L'auteur de Voyage au bout de la nuit, publié en 1932 et vainqueur du Prix Renaudot, a exposé l'absurdité du monde et sa folie dans cet ouvrage, et prôné l'unique mode de résistance envisageable selon lui : la lâcheté.
Que penser de cette manière de vivre, de cette posture d’écrivain ? Proposez et posez une problématique A, soit à la gloire de l’écrivain, B, soit en sa défaveur ou déchéance. A moins que vous ne préfériez jouer les médiateurs C, ou proposer D, une problématique autre. Durée de l’épreuve : quatre heures.
 
Assis devant mon pupitre tagué dans l’immense amphi Descartes, je n’en menais pas large. Nous étions cinq-cents candidats pour seulement deux bourses. Voilà ce que l’on m’avait dit en résumé. Voilà ce que j’avais du moins retenu.
Je me retrouvais coincé entre deux larges étudiants en tenue de jogging, l’un tatoué et venant sans doute du  Neuf cube, à la façon dont il ne cessait de faire rouler les muscles de ses biceps où je pouvais lire : « Neuf trois=Vincent», l’autre tout aussi Africain mais moins sombre de peau, aux dreadlocks teints en blond vénitien. Pas facile d’écrire large sur la copie rose où je venais d’inscrire mon identité, au vu de l’exigüité de ma place.
Concentré malgré tout, je relus mon sujet, ayant opté d’emblée pour le A. Le piège me paraissait grossier. En choisissant B, C ou D le correcteur n’allait même pas prendre la peine de lire ces copies contestataires, anti-céliniennes, pas assez ou trop mollassonnes. Un futur boursier devait de s’adonner à un engagement sincère en faveur de la littérature, car en cette période de crise – janvier 2011  - pour ceux qui l’auraient oublié, je pensais comme Hemingway, suicidé en 1961 d’un coup de fusil sous la gorge : « Quand la société va mal, c’est la littérature qui se retrouve en première ligne.
Ainsi ruminant, je jetai un rapide coup d’œil à mes concurrents. Ils avaient choisi B, tandis que devant moi, une blonde décolorée allait s’enliser dans le C. Les autres étaient trop loin de mon regard, mais dans la masse, je calculais déjà que les choix pour A devaient représenter au mieux cent personnes, ce qui me laissait une chance sur cent. Mais en ôtant les faiblards de l’orthographe, quoiqu’en khâgne il n’en subsistait presque plus, les timides et les bien élevés dans leur moule, les traqueux et les semi-dépressifs, il me paraissait clair que j’avais une chance sur 30.
Donc soixante candidats à battre. Moins deux qui seraient reçus, dont moi ! J’avais la patate ! Bon, je ne vais pas vous saouler plus avant avec des chiffres ; pour un futur Normalien en Lettres, pas question d’afficher une tendance économico-comptable… Passer pour un clown, non merci.
Au bout d’une heure de tergiversations, mon plan était écrit, clair. Une autre heure à rédiger l’introduction et la conclusion, la troisième heure à remplir l’entre-deux, et j’étais bon pour me relire en toute tranquillité. Il était temps de se détendre un peu. Je voyais peiner les stylos sur les copies, transpirer les corps, remuer les cils, s’agiter les paupières, froncer les fronts. Un bruit de gorge sortait de temps à autre, comme pour prendre le ciel à témoin, convoquer les oracles, ou influencer le futur correcteur.
Triste spectacle dont j’étais à la fois le témoin et l’acteur. Cheptel poussif qui visait l’excellence, les verts paradis ! Mes parents m’avaient prévenu : pas de bourse, pas de Normal sup’ ! Message bien reçu… Donc, j’avais travaillé, normal. Quarante-deux heures par semaine penché dans les livres, au-dessus des gouffres noirs et gris de la littérature : moderne, postmoderne, antique, grecque, Gracq, latine, américaine, africaine, indigéniste, comparée, étudier la sociolinguistique, indienne, de la Caraïbe, la grammaire, les langues vernaculaires, les métalangages, les situationnistes, la littérature juive, arabe, de l’Andalousie heureuse, du Canada, là où il n’y a rien disait-on autrefois… Glossologie comprise et autres artefacts, j’étais mûr pour polémiquer, argumenter, étayer, bâtir, déconstruire… Un chantier m’attendait, chantier dont j’étais le conducteur des travaux, l’entrepreneur, l’ingénieur, producteur et lecteur, décideur ainsi que graphomane.
Armé de pied en cape, j’allais désormais – bête à concours – avec mon alphabet de voyelles et consonnes affronter, labourer, ensemencer l’univers ouvert des champs littéraires.
 
II
En entrant dans l’amphithéâtre des opérations, j’ai eu comme un flash. Putain, l’ambiance relou ! Du populo partout ! Bon ! « C’est pas toi qui va te laisser intimider, toi le Roi du Salm, toi le faiseur de mots d’ailes ! » me dis-je en un cri rentré.
A côté de moi, un blondinet encore boutonneux avec la raie au milieu ! Je rêve ! Un gars pareil, je vais le transformer en cauchemar, le niquer à la pointe du stylo, d’un Z qui veut dire… Non, j’déconne ! « Tout un chacun sa chance » m’a dit Mildiou, mon partenaire de scène. Mildiou le roi d’la balle, un basketteur hors pair qui vous met un panier méga en roulant son tarpé ! Doigts dans l’nez le Mildiou !
Bon, le sujet est plutôt casse-pattes, mais nous donner en pâture du Céline, rien à cirer, je n’aime pas ce gros naze ! « Peu importe le sujet pourvu qu’on ait la niaque » ! disait Madame Le Guern, ma professeure de khâgne. Avec elle, j’ai progressé à donf ! Tout lu le Proust ! Un intrépide, le gars, qui vous fait du slam trop fort avec des tempos de ouf ! Un dingo du Bic, un allumé du subjonctif en pleine tête ! La classe, ce gus ! J’adorrre !
Je prends le sujet C, genre médiation. Pour être ambassadeur un jour à l’Onu, je sais faire palabrer, ça oui ! Tourner en pleine ligne droite, tergiverser à boire, roucouler en avant, la musique africaine, j’suis nez à nez avec ! Depuis les Père griots, Balzac a tout faux ! A tout faux l’Honoré, le tourangeau madré, Rastignac t’as la niaque, je vais tous les niquer, avec mon Bananiac ! Voilà que je chante en plein examen du concours ! Mon voisin de droite me regarde bizarre ! Calmos, Vincent. Et ce petit blanchi sur ma gauche, qui gratte comme un insecte sur sa copie rose. Moi, c’est une verte, encore heureux ! Rose, non mais t’as vu la honte.
Je veux faire un signe à Balto mais il est plongé dans sa prose de ouf, lui aussi. Encore plus fort que moi le Balto d’après Madame Le Guern, la prof bretonne qui nous a appris à nous en méfier du Céline. Elle, son truc, c’est Louis Guilloux. Vu qu’elle est du 22, normal ! Pas chauvine, mais branchée Bretagne et bilinguisme. Me font rigoler moi qui parle quatre langues : wolof, swahili, burkinabé et français moyen. J’vais tous les quiner avec ma médiation « Céline/style/Point d’exclamation, t’es pas un écrivain, moderne, juste un gars qui détruit la vie, un aigri yo ! Aigri, yo ! Tous les quiner, à donf l’écriture, j’vais aligner huit pages et survoler en mage, la littérature noire, la meilleure du Neuf Trois, celle du cœur qui s’emballe, t’as pas cent balles, eh, Ferdinand ? C’est moi Vincent, le vif-argent, content, content… »
 
III
 
Quand les correcteurs eurent fini de correcter, quelle ne fut pas leur surprise !
Parmi les meilleures copies,[ au dire du chef directorial préposé à la double note (si elle était supérieure à treize) – évitant ainsi les professeurs gauchisants tendance « j’mets la moyenne à tous d’abord, et je surnote les idées révolutionnaires »,] ce fut celle d’un Arabe décidé des cités : un Tunisien, mon phrère !
Faire équilibre avec la double correction, la double note,  permet aussi d’éviter les révolus, les rêves au lit sionistes ou stationnaires. Et d’éviter pour les vaincus d’avance, la double peine : se retrouver collé à l’ENS d’emblée. Un Tunisien français avait choisi le sujet D, le plus délicat. Innover en refusant les trois pistes proposées de facto dans le sujet. Bravoure, intrépidité ? Nenni ! Hicham Ben Abdellatif Larouane s’était posé en moufakir, penseur plutôt qu’en mouthakkaf, intellectuel.
Le jeune homme, usant du principe de précaution, avait glosé sur Céline, le jugeant digne du purgatoire (invention du XII siècle selon J. Le Goff afin de mieux asseoir l’hégémonie de l’Eglise de par le monde), sans le vouer aux gémonies. Avait replacé l’écrivain dans la sphère privée en tant que pécheur qui ne serait devenu célèbre qu’à cause d’un lectorat dévoyé et avide d’effets stylistiques faciles.
S’ensuivait une imparable démonstration étagée sur trois niveaux. Redéfinir le terme iconoclaste, construire une stratégie nouvelle du champ littéraire, et circonvenir de façon interro-négative d’une lecture subjective, loin de toute généralité scientifique (la trahison des clercs) à propos du roman, thermomètre virtuel d’une maladie honteuse : nous. Céline, l’artiste dit contestataire n’étant plus que le palimpseste vomitif d’une société gangrénée par l’universalisme occidental totalitaire.
Hicham s’appuyant sur les thèses d’Edouard Glissant, de Ricœur, sur l’impossibilité du récit, de Blanchot, de Debord, & d’Antoine Compagnon. Hicham, en ne se servant que de la sphère francophone de surcroît, mettait ainsi à bas la pensée européenne qui à mots couverts, devenait charia. Son vocabulaire percutant frappait la cible mouvante des émotions perdues ; plutôt que de faire croire à l’adage : « homo homini lupus » de Plaute, ce qui aurait plu aux céliniens, Hicham le rusé délicat avait circonscrit sa démonstration sans utiliser un langage mondialisant, qui aurait tant plu aux vieux professeurs se croyant au goût du jour, dans ce voyage au bout de leur nuit.
Dix-huit sur vingt et dix-sept ! Imparable. Reçu premier.
Quant à moi le blondinet sournois, je ne fus que deuxième. Boursier oui, traître non !
 
Vincent obtint deux sur vingt et Balto trois – la honte, cywilydd, בושה, shame, عار, aibu, wstyd, 恥辱,vergüenza, wont, позор, la Chouma العار !!!
A suivre…
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14 septembre 2011 3 14 /09 /septembre /2011 19:01
QUAT’ de couverture
 
  • LES COCCINELLES DU DIABLE
  • ECO-POLAR
 
2010 : année internationale de la biodiversité, exposition universelle de Shanghai.
Cette fiction policière est une enquête au pays de la vigne et du vin. Le petit village de Jobigny La Ronce, ainsi que le Domaine de La Clairgerie, ne se trouvent sur aucune carte. Disons qu’ils sont proches de Beaune, en Bourgogne. Tout au long d’une intrigue dans laquelle se côtoient science, écologie, drame et fantaisie, l’auteur nous invite « à cheval sur le vin », à découvrir des paysages étranges, sur lesquels de drôles d’insectes font la loi.
Les « Coccinelles du Diable » -  métaphore de la peur de l’Autre, du « péril jaune » - mais véritable fléau - déchaînent les passions. Planète folle, crimes odieux, climats agités, le vin se troublerait-il… ? Logiquement, oui ! Mais la logique n’est-elle pas le dernier refuge des gens sans imagination… ? La Nature, mal gérée par l’homme, est bien plus dangereuse qu’une arme à feu – devenue ringarde dans un polar en 2011. Et si le repas gastronomique des Français se retrouve inscrit au patrimoine immatériel de l’humanité, n’oublions pas que le vin en représente l’esprit.
Yann Venner, dans ce  sixième roman, parcourt les climats de Bourgogne, la Bretagne et l’Asie, avec science, conscience et  jubilation.
 ISBN                                                       15 euros
 
 
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14 septembre 2011 3 14 /09 /septembre /2011 18:57
Paul Eluard
Extraits du « Dit de la force de l’amour », écrit en 1947 pour l’ouverture d’une émission de radio.
« Hommes, femmes (…) qui, perpétuellement, naissez à l’amour, avouez à haute voix ce que vous ressentez, criez « je t’aime » par-dessus toutes les souffrances qui vous sont infligées, contre toute pudeur, contre toute contrainte, contre toute malédiction, contre le dédain des brutes, contre le blâme des moralistes.
Criez-le même contre un cœur qui ne s’ouvre pas, contre un regard qui s’égare, contre un sein qui se refuse. Vous ne le regretterez pas, car vous n’avez d’autre occasion d’être sincère (…) Votre cri vous fera grand et il grandira les autres. Il vient de loin, il ira loin, il ne connaît pas de limites.

Parlez, les mots d’amour sont des caresses fécondantes. Les autres mots ne sont là que pour la commodité de la vie. Aimer, c’est l’unique raison de vivre. Et la raison de la raison, la raison du bonheur. Vous obtiendrez toujours grand enchantement d’aimer, et même de la souffrance d’amour.
Les plus grands des poètes ont affronté diversement, avec courage et avec faiblesse, les difficultés de la vie, mais leurs chants d’amour relèvent l’homme de son bourbier. »
Non pas le sommeil agité
Ni les balbutiements pâteux
Mais le rubis qui s’illumine
Sur la robe de la cuvé *
Quand je tiens entre mes deux doigts
Le pied du verre à déguster
Humer le bouquet et trouver
Un poème pour la saison
Et puis dans l’accompagnement
Des saveurs à multipler
Animer la conversation
Qui va découvrir des domaines
Où l’on n’osait s’aventurer
Et où les vignes du savoir
Proposent de nouvelles grappes
Pour les oiseaux et les amants.

 

* choix volontaire de l'auteur pour la graphie 

 

Michel Butor pour le poème 

 

 

 

 

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14 septembre 2011 3 14 /09 /septembre /2011 18:53

Le cageot

 

A mi-chemin de la cage au cachot la langue française a cageot, simple caissette à claire-voie vouée au transport de ces fruits qui de la moindre suffocation font à coup sûr une maladie.

Agencé de façon qu'au terme de son usage il puisse être brisé sans effort, il ne sert pas deux fois. Ainsi dure-t-il moins encore que les denrées fondantes ou nuageuses qu'il enferme.

A tous les coins de rues qui aboutissent aux halles, il luit alors de l'éclat sans vanité du bois blanc. Tout neuf encore, et légèrement ahuri d'être dans une pose maladroite à la voirie jeté sans retour, cet objet est en somme des plus sympathiques - sur le sort duquel il convient toutefois de ne s'appesantir longuement.

(F. Ponge, Le Parti pris des choses, 1942)

 

Le Vin

( extrait de La Correspondance du vin essais éditions Guitardes 1981 cadeau d’anniversaire)  

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14 septembre 2011 3 14 /09 /septembre /2011 18:46

giovedì 02 settembre 2010 18:00 90 Visualizzazioni

YANN VENNER

L'Alliance Française di Trieste

organizza un incontro con lo scrittore bretone

 

YANN VENNER: le nuove vie del poliziesco

 

Venerdì 3 settembre 2010  ore 18.30

Bagno Ausonia - Riva Traiana, 1

Yann Venner è scrittore di polars intriganti e raffinato poeta. Nato a Saint-Brieuc nel 1953, vive tra Bretagna e Borgogna. Ha pubblicato cinque romanzi polizieschi: dopo una tetralogia ambientata in Bretagna, in cui mescola humour e noir, ha pubblicato Cocktail cruel, un “eco-polar” in cui la suspense e l’humour abituali si accompagnano al motivo ecologico. Tutta l’opera di Venner è caratterizzata da un utilizzo sapiente della lingua francese, con ricorso a modi di dire, calembours ed ogni tipo di gioco linguistico.
L’intervento triestino sarà dedicato al rapporto tra ironia e polar e alla nuova funzione che il genere poliziesco ha acquisito negli ultimi anni: quella di descrivere il territorio locale mettendolo in rapporto con le grandi questioni socio-economiche del mondo globalizzato, costituendo così un momento di analisi e critica più che una semplice fuga nell’immaginario.
Lo scrittore converserà con Anna Zoppellari, docente di Letteratura francese presso l'Università di Trieste e vice-presidente dell'Alliance française di Trieste.
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14 septembre 2011 3 14 /09 /septembre /2011 18:15

Interview Yann Venner, août 2010.

  1. 1.      Comment définirez-vous vos polars ?
  2. 2.      Dans vos romans, le crime n’est jamais le résultat de laborieuses manœuvres, mais il est vengeance ou folie, et il est le plus souvent répété. Quel rôle donnez-vous aux sentiments noirs dans la vie ?
  3. 3.      Vos premiers quatre romans se passent en Bretagne, le dernier entre Bretagne et Bourgogne, mais parlent de problèmes qui ont touché l’esprit des français ou des européens au cours du XX siècle (la guerre d’Algérie, le terrorisme, les sans papiers et la politique d’immigration, l’écologie). Quel rapport établissez-vous entre le local et le global ? Vous vous considérez un écrivain régional ? Sur quelle tradition vous vous appuyez pour prendre en compte l’environnement dans lequel les histoires se déroulent avec ses problèmes sociaux, politiques et économiques ?
  4. 4.      Vous avez créez des personnages qui se répètent dans les différents romans. A quoi répond ce gout de la répétition et de la création de personnages d’un roman à l’autre ?
  5. 5.      Pourquoi, par contre, dans Cocktail cruel, le dernier éco-polar, vous les avez presque abandonnés ?
  6. 6.      Quelle place donnez-vous au comique et à l’ironie dans vos romans ?
  7. 7.      L’une des caractéristiques fondamentales de vos romans est le travail linguistique qui permet de rendre la richesse du français. Pour quelle raison vous donnez une si grande place à la « pluralité de la langue » française ?
  8. 8.      Vous êtes  un écrivain de polars et un poète. En quoi ces deux types d’écritures se contrastent, si elles se contrastent, et se complètent ? Différemment dit : vous avez pratiqué et publié de la poésie pour longtemps et, depuis 2006, vous vous adonnez au roman policier. Qu’est-ce que vous a porté à ce changement ?
  9. 9.      Vous connaissez quelques écrivains de polar italiens ?

 

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14 septembre 2011 3 14 /09 /septembre /2011 18:15

Surnommée la "route des châteaux", la Départementale 2 traverse le vignoble du Médoc, en Gironde, sur 80 km et permet de découvrir de prestigieuses appellations. Première étape à Margaux qui compte 21 grands crus classés.
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14 septembre 2011 3 14 /09 /septembre /2011 18:14
Le châtiment
 Le sixième jour de la lune de Novembre, le peintre Janus Baum acheva sa toile ; ou plutôt la signa.
Geste, qui marquait - en effet - le signe d’un total achèvement, d’une finition certaine ; à moins que le lendemain, guidé par une nouvelle inspiration (due peut-être à un sommeil bienfaiteur), il ne se mette à ajouter, supprimer, déplacer une nervure, une racine, une feuille.
Il alla se coucher l’âme tranquille, le tableau recouvert d’un morceau de drap écru et offrant sa secrète richesse à la nuit.
Mais il n’y eut pas de lendemain...
L’artiste s’endormit les mains encore pleines de sensations colorées, de mouvements soyeux, à la poursuite de blancheurs dans l’espace. Ses doigts se mirent à agripper les draps, les chiffonnant, les torturant, draps rejetés hors du cadre, hors du texte, flottant autour du peintre dans un halo goguenard et éreintant, comme une œuvre inachevable. Puis le doux sommeil vint. La surface de la toile était calme, aucune caresse de pinceau ne venait plus effleurer l’espace désormais vierge.
Respiration nocturne, sommeil réparateur et silencieux.
Au matin, autour du tableau dissimulé sous son suaire, on put voir sur le sol des gouttes glauques et blanchâtres, comme des boules de gui, disposées (presque) en couronne, en ronde.
L’inspecteur Eiche qui examina le cadavre du peintre, sans rien lui trouver de remarquable, mises à part des particularités physiques qui n’apporteraient rien à une explication logique (sinon une débauche, voire un déluge de mots inutiles), l’inspecteur Eiche ne put dire, ni écrire dans son rapport ce que venaient faire ces boules, ces perles de gui au milieu de l’atelier de l’artiste assassiné.
On se moqua même de la gêne de l’inspecteur à tenter d’expliquer, de vouloir décrire l’indescriptible : douze boules de gui qui furent expertisées comme telles par un ethnobotaniste du CNRS ; elles provenaient, seraient... tombées, étaient i-i-issues du, du chêne gaulois immense peint sur la toile la veille du meurtre, comme si le peintre livrait là son secret : faire un tableau vivant !
Douze boules de gui, innommable pluie tombée de l’arbre, un chêne ! Absurde ! Loufoque ! Impensable ! Et pourtant...
Douze ans ont passé depuis et je les LES contemple là, assis dans l’atelier que j’ai racheté - sans rien savoir au départ de cette sombre histoire classée par la police.
Les boules sont là, agglutinées dans un bocal Le Parfait, baignant dans le formol. Cette pièce à conviction n’a convaincu personne et le journaliste qui me l’a remise depuis peu, pièce dérobée sans doute aux forces de la Loi (bien mal inspirées lors de cette affaire) m’a affirmé que le tableau appartenait désormais à un héritier de la famille Baum, parti depuis en Australie. Je tiens le bocal transparent comme si son contenu semblait être le mobile du crime. Les boules me fixent quand j’approche le récipient à hauteur de visage, surtout l’une d’elles qui grossit - ou plutôt me semble avoir grossi - depuis ce matin. Je la soupçonne... riche de réponses dans son opaque mutité. Je n’en jurerai pas, mais, au centre de sa rotondité lunaire, je distingue à travers mes pupilles étrécies sous l’effet d’une longue concentration... (Chut ! Nous y voilà ! ...) je vois deux petites lèvres blêmes qui s’écartent  diffi... difficilement. La perle de gui va prononcer ses pre... premières paroles. Je m’en souviens encore puisqu’elles - ces paroles - me font témoigner aujourd’hui, sous le serment, du trouble qui m’accable, et à la fois de la joie qui me conduit à révéler - dans mon journal intime - (ce miroir d’encre douteuse à bien des égards propices aux égarements de ses futurs lecteurs) - à révéler ces paroles issues d’une bouche improbable. Les onze autres blafards, dans un silence de mort, semblent dédaigner cette bavarde, et brisant pour mon malheur la loi du silence ; car, depuis l’affreuse envie qui me fouaille de vouloir expurger la vérité - quelle qu’elle soit - sur cette mort mystérieuse et violente, mon état de santé s’est brutalement aggravé. La preuve : j’écris couché, le bocal contre ma joue gauche, ma main droite alignant des lettres qui s’affolent comme si le temps allait me manquer - se dérober entre mes doigts fébriles.
Je me mets à rêver de la Forêt Noire, plume levée, forêt de sapins sans fleurs, sans gui et sans couronne. Pourquoi donc ces douze boules assemblées, cette ronde infernale ? Est-ce le bocal, ou, ma tête ? Le tourbillon des hypothèses me fait vaciller. Je n’aurai pas dû me redresser sur ma couche pour contempler la nuit de Novembre. Nous sommes la sixième nuit de Novembre ; il est quatre heures quarante exactement, et je ne connais toujours pas le nom de l’assassin.
Le message que m’avait confié la perle blanche (la plus grosse) consistait à exposer le bocal sur le balcon nord de l’atelier, cette nuit-là précisément. Je, j’essaie de me relever. Avec précaution, j’ouvre la fenêtre coulissante, poissant la vitre de ma main moite. Les pages de mon cahier intime, agitées par le flux d’air nocturne, se froissent dans une ultime colère. »
Une immense déflagration s’entendit à la ronde. Dix minutes plus tard, les ambulanciers, appelés par une voix anonyme, décrivirent à la presse, entre deux claquements de portière, le drame dont ils venaient d’être les tardifs témoins : « Un inconnu (sous fausse identité, d’après l’enquête diligente de la police) gisait sur le balcon, la tempe gauche horriblement lacérée par des éclats de verre. »
Le bocal aurait explosé, laissant comme seul indice une boule de gui qui obstruait l’oreille gauche du cadavre mutilé. Les caillots de sang sur la tempe conglomérèrent sous la lune jaunâtre et d’un coup, le ciel s’obscurcit, un nuage éteignit la lune, comme si le bras d’un druide invisible et vengeur venait à l’instant de faucher l’immense champ d’étoiles...
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